Emel Mathlouthi

Dorsaf Hamdani et Emel Mathlouthi : deux musiciennes, deux regards sur la Tunisie

Tunisie, un an après | La rock star Emel Mathlouthi prône la laïcité, la diva Dorsaf Hamdani accepte certaines traditions religieuses. Mais toutes deux restent vigilantes, prêtes à défendre le statut privilégié des femmes tunisiennes.

L'une, rebelle issue de la scène alternative rock et électro, a été, avec sa chanson Ma parole est libre, l'une des figures de la révolution du Jasmin. L'autre, diva et musicologue avertie, cumule les projets ambitieux avec de grands maestros de la musique méditerranéenne. Emel Mathlouthi, 30 ans, et Dorsaf Hamdani, 36 ans, incarnent cette génération de Tunisiennes modernes, engagées, cultivées et indépendantes, à la fois ouvertes sur le monde et farouchement attachées à leurs racines. Elles vivent entre la Tunisie et la France, passage obligé d'une carrière vouée à s'exporter faute de débouchés dans leur pays ; nous les avons fait se rencontrer à Paris pour évoquer la Tunisie en mouvement...

Dorsaf Hamdani : La première fois que j'ai entendu ta musique, c'est grâce à un disque copié sous le manteau par mon ex-mari. J'ai trouvé ça beau, exceptionnel même : je ne pensais pas que ce genre de musique avant-gardiste pouvait exister en Tunisie.

Emel Mathlouthi : Avant la révolution, j'appartenais à la scène underground. Si une caméra ne m'avait pas filmée en train de chanter pendant une manifestation, je ne serais jamais passée à la télévision tunisienne. La mode y est aux clips de variété ringarde. Mes textes sont trop contestataires, ma musique, trop rock. Les artistes de qualité comme toi, régulièrement diffusés sur les chaînes nationales, sont rares...

D. H. : J'ai eu la chance de suivre un parcours plus classique. Et mes parents m'ont toujours encouragée. Mon père était lui-même chanteur avant de choisir un métier plus compatible avec ses responsabilités de chef de famille. Quand j'ai décidé de vivre à Paris, seule, pour passer mon DEA de musicologie, il ne s'y est pas opposé. L'important était que je passe des diplômes pour pouvoir, plus tard, trouver un travail et être indépendante, mais aussi pour me cultiver, avoir quelque chose à raconter.

E. M. : Ma famille aussi était ouverte. Mon père, un militant gauchiste, prof d'histoire à l'université, a nourri mon caractère rebelle avec Cheikh Imam et Bob Dylan. Au lycée, j'étais une élève modèle, mais j'ai trouvé dans le milieu du hard-rock et du heavy metal un nouveau terrain d'expression. Aux concerts, on portait des jeans troués, du maquillage noir et on dansait, on sautait : j'avais besoin de ce souffle. A l'université, j'ai continué à chanter, mais en cachette. Ma mère venait d'un milieu plus conservateur : pour elle, faire de la musique un métier était impensable. La précarité lui faisait peur, mais c'était aussi une question de décence, une femme devait protéger sa réputation.

D. H. : Ma mère est de la génération des « filles Bourguiba » : dans les années soixante, elle travaillait et sortait le soir. En fait, l'inégalité hommes-femmes se fait surtout sentir à l'âge de se marier et de devenir mère. La femme tunisienne a beau être émancipée, elle doit avoir une belle image dans la société. Pas d'alcool, une tenue vestimentaire décente, de bonnes fréquentations... je respecte ces règles de vie provenant de la charia. On peut être une femme moderne en respectant certaines ­valeurs morales, voire religieuses. D'ailleurs, en voyageant dans d'autres pays arabes, j'ai vu à quel point, grâ­ce au code du statut personnel, la femme tunisienne était privilégiée.

E. M. : Cela n'empêche pas le machisme ! Au lycée, pas de problème, j'avais même coupé mes cheveux à la garçonne, c'était marginal, mais toléré. Plus tard, en revanche, les parents de mon ex-petit ami ont refusé que leur fils épouse une chanteuse...

D. H. : Pour ma part, j'ai essuyé quelques critiques au moment de mon divorce. Chez nous, quand tout va mal, c'est forcément la faute de la femme !

E. M. : Au moins, tu t'es mariée et tu as eu un enfant. En Tunisie, mieux vaut être une mère divorcée qu'une vieille fille célibataire ! Il me reste de la marge, mais on me fait déjà des ­remarques. Pourtant, je suis très con­ventionnelle et je tiens à me marier. Et puis il y a cette loi grotesque sur l'héritage, qui octroie double part aux garçons.

D. H. : Cette loi ne me choque pas. C'est juste une question de religion : si Dieu l'a voulu, c'est qu'il avait une bonne raison. Pourquoi changer ­cela ? La Tunisie est un pays musulman, après tout.

E. M. : C'est un pays musulman, qui doit préserver cette culture, mais je suis pour un Etat laïc, où le Coran n'interfère pas avec l'Etat. Aujour­d'hui, la lutte contre la corruption et pour le droit au travail est prioritaire, mais ce n'est pas une raison pour oublier le droit des femmes, même si Ennahda (NDLR : le parti islamiste) ne peut pas remettre en cause nos ­acquis historiques.

D. H. : D'accord, mais quand je regarde - Telerama

Singer Emel Mathlouthi’s music formed a soundtrack to the Tunisian uprising

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Emel Mathlouthi was on tour in Tunisia when the country’s uprising began in December 2010. That week, the singer, who became a powerful voice of the Jasmine revolution, gave a concert in the coastal city of Sfax. “We didn’t know his name yet,” she says of Mohamed Bouazizi, the vegetable seller whose desperate protest triggered the Arab spring. “But I dedicated my songs to the young man who’d set himself alight, and the town that was fighting for dignity. Nobody was talking that way on a public stage.”

Tunis-born, Mathlouthi had spent the previous three years in Paris as a singer, composer and guitarist, with a repertoire that vented a yearning for freedom, particularly among the young. When the nervous concert organiser in Sfax implored her not to sing protest songs, she said: “How can I do that? I don’t have any others. The concert will be 10 minutes.”

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Mathlouthi and her band, along with other outspoken Tunisian musicians, such as Hamada Ben Amor, better known as the rapper El Général, played a part in breaking years of silence. They assailed what she describes in “Ya Tounes Ya Meskina” (Poor Tunisia) as a fear taught in school and “embedded in their minds”.

I meet the 30-year-old Mathlouthi in the Renaissance hotel at London’s St Pancras station, the day after the launch concert in Paris for her first full album, Kelmti Horra (My Word Is Free). Small and striking in a short black lace dress and sturdy boots, lavish curls tied back, she says her spirits have been revived amid the hotel’s soaring, neogothic architecture. Performing later with violinist Zied Zouari at the Rich Mix café-bar in Shoreditch, east London, she is mesmerising, unleashing a stunningly assured vocal range, from deep, breathy whispers and mellifluous sweetness to full-throated power. If her sincerity evokes folk legend Joan Baez, a big influence on Mathlouthi, she can strike the guitar with a force that owes more to her rock heroes such as Radiohead.

While her finely rendered Middle Eastern melodies, with pained lyrics of separation and longing, recall the Lebanese diva Fairouz, Mathlouthi is less romantic than revolutionary. She sings mainly in classical Arabic or Tunisian dialect (with forays into English and French). Her self-produced album marries a lyrical purity of voice with western strings, Maghrebi percussion and electronica – a driving mix oversimplified as “Arabic trip-hop”. In fact, the urban, Mediterranean meld is more original. She inhabits, and makes her own, elements from rock and folk, fado and flamenco, Celtic and Tzigane, north African gnawa and rai. There is even a Russian choir.

“I don’t want to focus on a specific style but to express myself naturally,” she says. “My music is a mirror for all these influences.” Partly inspired by cinema (she admires Iranian films and British director Ken Loach), her aim is to “create atmosphere and a universe around every song, not just voice and a couple of instruments”.

Each song develops like a narrative. Dedicated to those who died to free her country, the album includes tracks that formed a soundtrack to the revolution. Yet while there are samples of Arab spring chants and President Ben Ali’s speech before he fled to Saudi Arabia, the songs were written before 2009. “Ethnia Twila” (The Road is Long) is a nostalgic dirge with an echoing background beat, inspired by Pink Floyd and psychedelia, written when she arrived in France in 2007.

Born in 1982, she was five when Ben Ali’s 23-year rule began. Although she grew up in the Tunis suburb of Ibn Sina “open-minded and free to think”, dictatorship struck the family. Her father, a leftwing radical in 1960s Paris, lost his job teaching history at the elite National School of Administration over trade union activities. “It was hard for my mum, working full time at primary school. My father wanted to be a professor in the university of Tunis but they never let him because he always wanted to say what he thought – he didn’t like the corruption of minds.”

Along with her father’s classical and jazz recordings, she admired his vintage protest songs, from Bob Dylan to Victor Jara. She was captivated by the blind Egyptian troubadour Sheikh Imam, whom she sees as a proto-rapper – - The Financial Times

Here's a world diva with a difference. Mathlouthi's lament for her homeland, "Ya Tounes Ya Meskina" (Poor Tunisia), became a soundtrack to last year's uprising, along with the celebratory "Kelmti Horra" (My Word is Free). Arriving after several years of exile in France, this debut twists together Arabic roots with western flavours – some rock (Mathlouthi plays guitar and cites Joan Baez as an influence) but mostly cavernous trip-hop. The mix works well on stand-outs "Dhalem" and "Ma Ikit", where Mathlouthi's striking vocals find most melody; elsewhere, the understandably serious mood of protest and sadness flatlines somewhat. A powerful new voice, none the less. - The Observer