Orchestre International du Vetex

Jean-Baptiste Lison, accordéoniste (Tournai – Belgique)
Nos Bermudes à nous (le triangle Lille-Courtrai-Tournai), ce n'est pas comparable en tant que tel à Sarajevo. On nous sollicite souvent sur le sujet, on me demande "toi, wallon, comment ça va le travail avec les flamands?", et la question se mord la queue. D'accord, on s'en prend plein la gueule pour le moment: écouter la radio belge ça devient violent par exemple, et ce qu'on peut lire dans la presse aujourd'hui, c'est un fascisme larvé, un populisme crasse. Je serais curieux de savoir quelle guerre s'est tissée dans leurs médias avant 1992... mais toutes proportions gardées, on n'est pas en guerre civile, même si ça pue le relent nationaliste. Le Vetex s'est construit sur des frontières, en cela, et malgré nous, on a une force politique. On ne parlait pas la même langue, et pourtant on s'est trouvés, ça fait six années que ça dure. Pour le reste, nous, on est tous différents, on n'a pas les mêmes noeuds ni les mêmes colères, mais ça c'est l'histoire de chaque groupe, on n'a rien inventé là-dessus. Moi, avant chacun des 5 voyages que j'ai fait là-bas, dans les Balkans, ça m'amusait de me dire, "tiens, est-ce qu'on aura un gouvernement à notre retour en Belgique?". J'en rigole parce que c'est triste, ce que là-haut ils décident pour le pays. Quand je vois les milliers d'impacts de balles à Sarajevo, et quand j'entends plus tard un ingé son qui refuse de me parler français à Bruxelles (il parlait français aux musiciens français, et n'avait pas le droit de me parler français à moi, Wallon), ça me la fout mal, mais ça reste infiniment plus grave ce qu'il s'est passé là-bas. Une crétinerie, c'est violent, c'est abrutissant, mais c'est pas non plus une balle de Sniper à Sarajevo. Le dialogue inter-culturel, eux, ils tentent de le renouer, c'est leur force, il y a tout à reconstruire. Mais c'est une capitale, nous on reste des provinciaux, parfois campagnards, on n'a pas ce passé-là. En France, il y a une Histoire nationale, 1789 etc, et en Belgique, on a une histoire tordue, on a été ballotés d'un pays à l'autre, bâtardisés, pour le meilleur. Le Vetex, c'est tout ça, un truc explosif avec des gens différents. On a juste eu envie que ça marche, allez savoir pourquoi.

Tomas Bulcaen, tromboniste (Kortrijk - Belgique):
À l’Ouest, on vit dans une société structurée qui en fait sorte qu’on puisse vivre ‘en sécurité’, mais il y a également un autre côté. A l’Ouest beaucoup de gens sont blazes parce que tout est déjà réglé pour eux. Si quelque chose ne va pas, alors…on est vite déprimé et malheureux. Et si on veut defendre nos droits et obligations, on est souvent trop faible.
Si je vivais dans les Balkans, je devrais travailler et me battre plus pour garder mon style de vie actuelle. En réalisant la chance qu’on a, on doit aussi comprendre que la société de l’Europe de l’Est veuille défendre aussi ses propres droits et son bonheur.
J’ai l’impression que les gens des Balkans sont plus heureux et plus chaleureux, parce qu’ils savent pourquoi ils doivent se battre, se défendre, mourir. Les dernières années m’ont donc fait réfléchir énormement et ont changé ma vision sur les valeurs et les normes occidentales.
La musique peut être la clé du problème, parce que c’est quelque chose d’universel. Elle vient du coeur, elle demande quelque chose de ton corps, de ton esprit,…Et un musicien ou un artiste dans n’importe quelle discipline artistique de l’Ouest ou de l’Est veut la même chose: plaire à un public, séduire,…
Donc si on arrive à unir ces esprits, le monde sera enfin plus beau.
Lionel Raepsaet, saxophoniste (Lille - France)

Les balkans nous renvoient à nous même, à notre propre identité. Dans le Vetex, nous étions pour la plupart enfants ou adolescents lorsque la guerre a éclaté là-bas. C'était aussi le débat autour du traité de Maastricht. Je m'en souviens bien: on étudiait la construction européenne à l'école. Aujourd'hui, certains parlent de "balkanisation" de l'Europe, de replis identitaire et à ce titre, la situation de la Belgique nous inquiète particulièrement, nous, frontaliers. 
 Les balkans, c'est la matrice, l'exemple paradigmatique de ce qui peut arriver si on laisse faire, si on laisse s'installer la peur de l'autre. Les plaies sont encore ouvertes là-bas, on a pu le constater en tournée, d'où les paroles de ce galeriste. Personnellement, je préfèrerais la formule inverse, plus positive: "Si ça marche ici, ça marchera partout". 
 Toute initiative visant à créer ou recréer du lien social entre des personnes d'horizon, de communautés, de religions différentes, est louable et nécessaire. 
C'est ce que, modestement, on tente de faire avec un projet comme le Vetex dans lequel on est flamand, wallon, français, belge, amateur, professionnel, kevin...... - Mondomix